la raison et le réel

Publié le par m12345

 

 

malebranche

 

Il n'y a personne qui ne convienne que tous les hommes sont capables de connaître la vérité ; et les philosophes même les moins éclairés, demeurent d'accord que l'homme participe à une certaine Raison qu'ils ne déterminent pas. C'est pourquoi ils le définissent animal RATIONIS particeps : car il n'y a personne qui ne sache du moins confusément, que la différence essentielle de l'homme consiste dans l'union nécessaire qu'il a avec la Raison universelle, quoiqu'on ne sache pas ordinairement quel est celui qui renferme cette Raison, et qu'on se mette fort peu en peine de le découvrir. Je vois par exemple que 2 fois 2 font 4, et qu'il faut préférer son ami à son chien ; et je suis certain qu'il n'y a point d'homme qui ne le puisse voir aussi bien que moi. Or je ne vois point ces vérités dans l'esprit des autres, comme les autres ne les voient point dans le mien. Il est donc nécessaire qu'il y ait une Raison universelle qui m'éclaire et tout ce qu'il y a d'intelligences. Car si la raison que je consulte n'était pas la même que celle qui répond aux Chinois, il est évident que je ne pourrais pas être aussi assuré que je le suis, que les Chinois voient les mêmes vérités que je vois. Ainsi la Raison que nous consultons quand nous rentrons dans nous-mêmes, est une Raison universelle. Je dis quand nous rentrons dans nous-mêmes, car je ne parle pas ici de la raison que suit un homme passionné. Lorsqu'un homme préfère la vie de son cheval à celle de son cocher, il a ses raisons, mais ce sont des raisons particulières dont tout homme raisonnable a horreur. Ce sont des raisons qui dans le fond ne sont pas raisonnables, parce qu'elles ne sont pas conformes à la souveraine raison, ou à la Raison universelle que tous les hommes consultent.

 

 

 

 

 

Malebranche La raison et le réel

Livre second. De la recherche de la vérité. de l’imagination

Partout où il y a des hommes sensibles aux passions, et où l’imagination est maîtresse de la raison, il y a de la bizarrerie, et une bizarrerie incompréhensible. Si on ne souffre pas tant de douleur à tenir son sein découvert pendant les rudes gelées de l’hiver, et à se serrer le corps durant les chaleurs excessives de l’été, qu’à se crever un oeil ou à se couper un bras, on devrait souffrir davantage de confusion. La peine n’est pas si grande, mais la raison qu’on a de l’endurer n’est pas si apparente : ainsi il y a pour le moins une égale bizarrerie. Un Ethiopien peut dire que c’est par générosité qu’il se crève un œil ; mais que peut dire une dame chrétienne, qui fait parade de ce que la pudeur naturelle et la religion l’obligent de cacher ? Que c’est la mode, et rien davantage. Mais cette mode est bizarre, incommode, malhonnête, indigne en toutes manières : elle n’a point d’autre source qu’une manifeste corruption de la raison, et qu’une secrète corruption du cœur : on ne la peut suivre sans scandale : c’est prendre ouvertement le parti du dérèglement de l’imagination contre la raison, de l’impureté contre la pureté, de l’esprit du monde contre l’esprit de Dieu : en un mot, c’est violer les lois de la raison et de l’Evangile que de suivre cette mode. N’importe, c’est la mode : c’, de l’esprit du monde contre l’esprit de Dieu : en un mot, c’est violer les lois de la raison et de l’Evangile que de suivre cette mode. N’importe, c’est la mode : c’est-à-dire une loi plus sainte et plus inviolable que celle que Dieu avait écrite de sa main sur les Tables de Moïse, et que celle qu’il grave avec son esprit dans le cœur des chrétiens.

En vérité je ne sais, si les Français ont tout à fait droit de se moquer des Ethiopiens et des sauvages. Il est vrai, que si on voyait pour la première fois un roi borgne et boiteux, n’avoir à sa suite que des boiteux et des borgnes, on aurait peine à s’empêcher de rire. Mais avec le temps, on n’en rirait plus ; et l’on admirerait peut-être davantage la grandeur de leur courage et de leur amitié, qu’on ne se raillerait de la faiblesse de leur esprit. Il n’en est pas de même des modes de France. Leur bizarrerie n’est point soutenue de quelque raison apparente ; et si elles ont l’avantage de n’être pas si fâcheuses, elles n’ont pas toujours celui d’être aussi raisonnables. En un mot elles portent le caractère d’un siècle encore plus corrompu, dans lequel rien n’est assez puissant pour modérer le dérèglement de l’imagination.

Ce qu’on vient de dire des gens de cour, se doit aussi entendre de la plus grande partie des serviteurs à l’égard de leurs maîtres, des servantes à l’égard de leurs maîtresses, et pour ne pas faire un dénombrement assez inutile, cela se doit entendre de tous les inférieurs à l’égard de leurs supérieurs : mais principalement des enfants à l’égard de leurs parents ; parce que les enfants sont dans une dépendance toute particulière de leurs parents ; que les parents ont pour eux une amitié et une tendresse, qui ne se rencontre pas dans les autres ; et enfin parce que la raison porte les enfants à des soumissions et à des respects, que la même raison ne règle pas toujours.

Il n’est pas absolument nécessaire pour agir dans l’imagination des autres, d’avoir quelque autorité sur eux, et qu’ils dépendent de nous en quelque manière : la seule force d’imagination suffit quelquefois pour cela. Il arrive souvent que des inconnus, qui n’ont aucune réputation, et pour lesquels nous ne sommes prévenus d’aucune estime, ont une telle force d’imagination, et par conséquent des expressions si vives, et si touchantes, qu’ils nous persuadent sans que nous sachions ni pourquoi, ni même précisément de quoi nous sommes persuadés. Il est vrai que cela semble fort extraordinaire, mais cependant, il n’y a rien de plus commun.

Or cette persuasion imaginaire ne peut venir que de la force d’un esprit visionnaire, qui parle vivement sans savoir ce qu’il dit, et qui tourne ainsi les esprit de ceux qui l’écoutent, à croire fortement sans savoir ce qu’ils croient. Car la plupart des hommes se laissent aller à l’effort de l’impression sensible qui les étourdit et les éblouit, et qui les pousse à juger par passion de ce qu’ils ne conçoivent que fort confusément. On prie ceux qui liront cet ouvrage de penser à ceci, d’en remarquer des exemples dans les conversations où ils se trouveront, et de faire quelque réflexion sur ce qui se passe dans leur esprit en ces occasions. Cela leur sera beaucoup plus utile qu’ils ne peuvent se l’imaginer.

Mais il faut bien considérer qu’il y a deux choses qui contribuent merveilleusement à la force de l’imagination des autres sur nous. La première est un air de piété et de gravité : l’autre est un air de libertinage et de fierté. Car selon notre disposition à la piété ou au libertinage, les personnes qui parlent d’un air grave ou pieux, ou d’un air fier et libertin, agissent fort diversement sur nous.

Il est vrai que les uns sont bien plus dangereux que les autres : mais il ne faut jamais se laisser persuader par les manières ni des uns, ni des autres, mais seulement par la force de leurs raisons. On peut dire gravement et modestement des sottises, et d’une manière dévote des impiétés et des blasphèmes. Il faut donc examiner, si les esprits sont de Dieu selon le conseil de saint Jean, et ne pas se fier à toutes sortes d’esprits. Les démons se transforment quelquefois en anges de lumière ; et l’on trouve des personnes à qui l’air de piété est comme naturel, et par conséquent dont la réputation est d’ordinaire fortement établie, qui dispensent les hommes de leurs obligations essentielles, et même de celle d’aimer Dieu et le prochain, pour les rendre esclave de quelque pratique, et de quelque cérémonie pharisienne.

Mais les imaginations fortes desquelles il faut éviter avec soin l’impression et la contagion, sont certains esprits par le monde, qui affectent la qualité d’esprits forts ; ce qui ne leur est pas difficile d’acquérir. Car il n’y a maintenant qu’à nier d’un certain air le péché originel, l’immortalité de l’âme, ou se railler de quelque sentiment reçu dans l’Eglise, pour acquérir la rare qualité d’esprit fort parmi le commun des hommes.

Ces petits esprits ont d’ordinaire beaucoup de feu, et certain air fier et libre qui domine, et qui dispose les imaginations faibles à se rendre à des paroles vides et spécieuses, mais qui ne signifient rien à des esprits attentifs. Ils sont tout à fait heureux en expressions, quoique très malheureux en raisons. Mais parce que les hommes, tout raisonnables qu’ils sont, aiment beaucoup mieux se laisser toucher par le plaisir sensible d l’air et des expressions, que de se fatiguer dans l’examen des raisons, il est visible que ces esprits doivent l’emporter sur les autres, et communiquer ainsi leurs erreurs et leur malignité, par la puissance qu’ils ont sur l’imagination des autres homme

 

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